Je marchais dans Montmartre
quand les premiers flocons se firent sentir.
Mon esprit tel que le ciel de janvier
semble empreint d’innombrables couleurs.
Un camaïeux de gris virant jusqu’à un blanc profond
m’empêchant presque de réfléchir.
Le froid de la glace qui se transforme
au contact de mon corps chaud
suffit à me rappeler que je suis vivant.
Je marche sans but,
sans destination.
Je savoure le paysage de cette ville grise
qui se couvre peu à peu de blanc.
Comme une mariée quelques heures avant la sentence,
la neige se fait timide.
Elle tombe sans un bruit.
Montmartre semble presque respectueux
de ce cadeau du ciel
et plus un son ne se fait entendre.
J’écoute les flocons tomber
et le bruit de mes pas s’enfonçant dans le sol.
Ma marche dure depuis plusieurs heures,
je suppose,
car j’ai de la neige jusqu’aux genoux à présent.
Les larmes sur mes joues coulent
au rythme des pétales de glace.
Au départ je tournais en rond pour jouir
uniquement de ce quartier qui a été le mien
pendant tant d’années,
mais à présent je déambule bien loin
de ce qui m’est cher.
Je passe prés de l’Opéra,
je glisse le long du canal st Martin,
je caresse des yeux les halls de gare,
d’un bout à l’autre de Paris,
mes pieds me portent.
Mon absence de sensation m’anesthésie contre le froid,
m’anesthésie contre la fatigue et contre
toutes les douleurs arrogantes qui se plantent devant moi.
Je suis mon chemin tant qu’il y a un trottoir
pour me recevoir,
je trace ma route tant qu’on ne me retient pas.
Je suis parti si précipitamment
que je ne porte pas de veste.
Mais j’ai chaud,
chaud au cœur.
Mes larmes de rage et de colère
me réchauffent.
Ma passion dévorante me brûle
de l’intérieur.
Si j’avais encore des sensations
je dirais même que je suis en train de suer.
Mais je ne peux en être sur
tant que je me sens éloigné de ce corps
qui était,
jadis,
le mien.
A présent plus rien n’a d’importance à mes yeux,
je ne vois plus clair,
tout me semble embué et teinté de larmes.
Tout me semble différent
depuis que tu n’es plus là.
Voilà bien quelques heures que je déambule ainsi,
je le devine au jour qui se lève sur Montmartre.
Je ferme la boucle de mon voyage parisien
en rentrant une dernière fois dans notre appartement.
Je me remémore ce jour si joyeux où l'on a signé la vente,
les crises de rire à le décorer,
les premiers pas de nos enfants sur ce parquet luisant,
les diners en famille dans ce salon
et les câlins sur ce canapé.
Je joue avec mes clichés de souvenir
qui défilent dans ma tête endolorie.
Je zappe d’une diapo à une autre
et me surprend à sourire
face à une cette si délicieuse période de ma vie.
Je rembobine encore et te revois avec tes cheveux longs,
tes pantalons colorés et tes sabots.
Ton chapeau de paille fleuri,
tes yeux pétillants de bonheur quand tu me regardais,
ta voix si douce quand tu chantais
que l’on ne se quitterait jamais.
J'explore l’appartement vide
comme si c’était le corps d’une femme
à qui je ferais l’amour.
Je prends le temps de visiter chaque pièce
et d’en caresser les murs
comme pour garder chaque cellule de souvenirs
emprisonnée dans mon geste,
comme pour retenir tous ces moments
qui m’échappent.
Je termine dans la cuisine
où git sur la table,
que nous avions choisi ensemble,
cette page qui représente tant.
Ce papier que tu me demandes de signer
afin que je te redonne ta liberté,
afin que j’accepte que tu sorte de ma vie.
Jamais on ne pourra sortir de la vie de l’autre,
on s’est construit ensemble,
on s’est allié et les poussières de notre amour
ont donné vie à nos enfants.
Aujourd’hui tu les balayes,
effrayée comme une asthmatique,
sans vérifier les fragments d’or qui se mélangent au reste.
Je suppose qu’un retour en arrière est impossible
et que je n’ai qu’à m’en remettre et
mélanger de nouvelles saveurs avec une autre.
Un coup de balai est si vite passé,
un coup de foudre est si dévastateur.